Les proverbes de la franchise : les chaînes et le réseau
Article de Jean-Marie Leloup paru dans Les Échos Solutions, le 23 janvier 2019.
Parler de chaînes dans un réseau de franchise, ce n’est pas évoquer celles du bagnard, c’est, tout au contraire, penser aux multiples fils qui constituent l’armature du réseau : les obligations nées du contrat de franchise, à la charge du franchiseur comme du franchisé, pour permettre la réussite commune et le développement du réseau, chacun ayant intérêt à sa croissance et à sa pérennité.
Le Code européen de déontologie de la franchise exprime bien l’interdépendance des obligations réciproques du franchiseur et de ses franchisés :
- le franchiseur doit avoir mis au point et exploité son concept sur le marché pendant au moins un an et au moins dans une unité pilote (Article 2.2). C’est à vrai dire peu demander (voir Les Echos de la Franchise du 1er octobre 2018, Ces réseaux sont trop verts). Les franchisés doivent permettre au franchiseur de s’assurer que la mise en œuvre du savoir-faire est conforme au modèle transmis et ils ne doivent pas en divulguer les éléments confidentiels (Article 2.3),
- la marque du franchiseur, dont il doit être titulaire pour une durée au moins égale à celle du contrat (Article 5.5), est mise à la disposition des franchisés qui ont pour mission d’entretenir et développer l’image de la marque dans la zone qui leur est dévolue, en évitant toute action ou négligence qui la déprécierait,
- le franchiseur doit consacrer les moyens appropriés au développement du réseau (Article 2 i) et les franchisés collaborer loyalement à sa réussite (Article 2.3.a).
Il est clair que le réseau unit en faisceau le franchiseur à ses franchisés : c’est une communauté économique et un groupe amical rempli d’un sentiment d’appartenance commune ; cependant chaque franchisé n’a de lien contractuel qu’avec le franchiseur et les franchisés n’ont pas de lien de droit entre eux.
Stipulation pour autrui
Par deux arrêts du 20 décembre 2017 (16-20.500 et 16-20.501), la Cour de cassation a très opportunément employé la technique de la stipulation pour autrui pour créer un lien de droit entre les membres du réseau : comment permettre à un franchisé d’exiger d’un autre le respect du contrat de franchise, par exemple à la suite d’une violation de secteur ou d’une politique de prix prédateurs, si le franchiseur, par insouciance, ou pour ne pas prendre parti, néglige de le faire ?
Mettant en œuvre une suggestion faite par la doctrine il y a plus de quarante ans, la Cour de cassation dans ces arrêts notables du 20 décembre 2017 utilise la technique de la stipulation pour autrui.
La stipulation pour autrui est le mécanisme par lequel une personne, dénommée stipulant, exige d’une autre personne, appelée promettant, un engagement en faveur d’une tierce personne dite tiers bénéficiaire. C’est la technique utilisée pour l’assurance-vie. Mais elle a d’autres applications, il suffit que la promesse s’insère dans un contrat passé par le stipulant dans son intérêt : la Cour de cassation vient donc d’en faire usage au profit du fournisseur d’un réseau où le contrat de franchise stipulait que les franchisés devaient s’approvisionner exclusivement auprès d’une boulangerie industrielle développant un concept de pain traditionnel au levain naturel.
Deux sociétés franchisées se sont séparées du franchiseur au cours du contrat, cessant donc de s’approvisionner auprès de la boulangerie désignée : celle-ci les a assigné en réparation du préjudice résultant de la rupture fautive du contrat d’approvisionnement.
Comme la cour de Paris l’avait jugé, la Cour de cassation décide qu’il y avait dans le contrat de franchise une volonté manifeste de faire naître au profit de la boulangerie un droit contre les franchisés et que la boulangerie ne pouvait se voir opposer la rupture des contrats de franchise, à supposer ceux-ci rompus, par une défaillance du franchiseur. On voit que par cette technique de la stipulation pour autrui, opportunément rappelée par la Cour de cassation, chaque franchisé peut exiger d’un autre franchisé le respect des obligations imposées par le contrat de franchise.
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