La clause de période d’essai ne porte nullement atteinte au droit à indemnité de l’agent commercial, Revue de Jurisprudence Commerciale

Article publié dans la Revue de Jurisprudence Commerciale mai/juin 2018, page 263 et suivantes: « La clause de période d’essai ne porte nullement atteinte au droit à indemnité de l’agent commercial : arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 19 avril 2018, affaire C-645/16 ».

 

AGENCE COMMERCIALE : ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE – 4ÈME CHAMBRE, DU 19 AVRIL 2018 DANS L’AFFAIRE C-645/16

 

Par Jean-Marie LELOUP*

 

La Cour dit pour droit : « L’article 17 de la Directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens que les régimes d’indemnisation et de réparation que cet article prévoit, respectivement à ses paragraphes 2 et 3, en cas de cessation du contrat d’agence commerciale, sont applicables lorsque cette cessation intervient au cours de la période d’essai que ce contrat stipule ».

 

Sur question préjudicielle posée par notre Cour de cassation dans son arrêt du 6 décembre 2016, n° 2015-14212 (v. RJCom 2017, page 48), la Cour de justice de l’Union Européenne décide que la présence dans un contrat d’agence commerciale d’une clause de période d’essai ne peut priver l’agent du bénéfice de l’article 17 de la Directive dans le cas où le contrat est rompu pendant cette période.

 

L’arrêt de la Cour de cassation opérant renvoi était parfaitement construit, rappelant sa jurisprudence refusant tout droit à indemnité lorsque la rupture du contrat d’agence intervient en cours de période d’essai, notant que ce type de clause ne fait l’objet d’aucune mention dans la Directive 86-653 du 18 décembre 1986, et citant les arrêts fondamentaux de la Cour de justice assurant l’application de l’article 17 de cette Directive et donc la protection de l’agent commercial.

 

La Cour de justice fait référence aux excellentes conclusions de Monsieur l’Avocat Général Szpuner, pour constater qu’elle n’a pas eu à se prononcer sur l’incidence d’une telle clause qui ne figure pas dans le texte de la Directive ni, semble-t-il, dans aucun des textes nationaux de transposition.

 

La période d’essai est une institution de droit du travail qui n’a guère de sens dans une collaboration contractuelle entre entreprises indépendantes(1).

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* Jean-Marie Leloup, Docteur en Droit, est Avocat au Barreau de Paris, ancien Bâtonnier de l’Ordre de Poitiers

 

(1)Il peut arriver qu’elle soit insérée dans un contrat de franchise (v. Cass. Com. 21 juin 2017,    n° 16-15365, Dafy c/ Motostop), c’est bien rare compte tenu des investissements requis en franchise, du soin mis au recrutement d’un franchisé et de l’existence d’une obligation d’information précontractuelle. Il s’agit plutôt d’une clause de sauvegarde en cas de mauvaises affaires du franchisé (comp. N. Dissaux, RTD Com. 2015-403 et  D. Ferrier, D. 2018, page 874).

 

 

 

 

En accord avec l’Avocat Général Szpunar, la Cour de justice juge que l’insertion d’une clause d’essai dans un contrat d’agence commerciale ne modifie pas la nature de celui-ci qui ne saurait être qualifiée d’autre chose que de contrat d’agence commerciale et que la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’agent commercial ne serait pas bénéficiaire d’une indemnité lorsque la rupture du contrat d’agence commerciale intervient pendant la période d’essai, reviendrait à considérer qu’au cours de cette période le contrat d’agence commerciale n’est pas encore définitivement conclu (Cass. Com. 17 juillet 2001,              n° 97-17539) ; or nous ne sommes pas, au cours de période d’essai dans une situation précontractuelle, nous sommes bien dans l’exécution d’un contrat qui est un contrat d’agence commerciale : toutes les dispositions de la Directive doivent s’y appliquer.

 

Puisque la période d’essai n’est pas au nombre des circonstances prévues à l’article 18 de la Directive, de nature à priver l’agent commercial des indemnités de l’article 17, la CJUE décide que les dispositifs d’indemnisation et de réparation prévus à cet article 17 sont applicables lorsque la cessation du contrat intervient au cours de la période d’essai.

 

 

Cette décision du 19 avril 2018 s’inscrit parfaitement dans la lignée des arrêts de la Cour de justice traitant de l’indemnité de cessation de contrat :

 

  • à l’égard de son attribution, tel l’arrêt du 28 octobre 2010, affaire C-2003/09, Volvo Cars Germany (RJCom 2010, 528),

 

  • à l’égard de son montant, notamment 23 mars 2006 (Honyvem Informazioni Commerciale c/ Mariella De Zotti), qui indique que les accords collectifs italiens ne peuvent pas remplacer l’indemnité de cessation de contrat prévue par la Directive à moins qu’ils ne garantissent à l’agent commercial, dans tous les cas, une indemnité égale ou supérieure à celle résultant de l’article 17, paragraphe 2,

 

  • quant à la loi nationale applicable, l’arrêt de la 3ème chambre du 17 octobre 2013, C-184/12, Unamar c/ Navigation Maritime Bulgare, bien connue des internationalistes : la Cour a décidé que la loi d’un Etat membre qui satisfait à la protection minimale prescrite par la Directive 86-853, peut être écartée, bien que choisie par les parties, au profit de la lex fori, si « le législateur de l’Etat du for a jugé crucial, au sein de l’ordre juridique concerné, d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par ladite Directive en tenant compte à cet égard de la nature et de l’objet de telles dispositions impératives »,

 

 

 

 

  • dans l’interprétation du mot « client », le 7 avril 2016 (affaire C-315/14, Marchon Germany GBH c/ Yvonne Karaszkiewiecz), en précisant que lorsqu’une société fait visiter les mêmes acheteurs par des réseaux d’agents différents présentant chacun des produits dont chaque réseau a l’exclusivité : « les clients apportés par l’agent commercial pour les marchandises qu’il est chargé de vendre, doivent être considérés comme de nouveaux clients au sens de cette disposition et ce alors même que ces clients entretenaient déjà des relations d’affaires avec le commettant concernant la mise en place d’autres marchandises lorsque la vente par cet agent des premières marchandises a nécessité des relations d’affaires spécifiques ».

 

 

 

 

Ces décisions montrent que la volonté fondamentale exprimée dans la Directive est bien l’indemnisation de l’agent, volonté que le droit français a transposé en déclarant non écrite toutes dispositions qui constitueraient renonciation à l’indemnité (v. Com. 21 octobre 2014, n° 13-18370, D. 2014, 2173).

 

Concernant le régime d’indemnisation de l’agent commercial, Monsieur l’Avocat Général Szpunar présente une analyse qui est tout à fait caractéristique de la nature de l’indemnisation de l’agent commercial lors de la cessation du contrat.

 

Il indique expressément que ce régime d’indemnisation « vise, non pas à sanctionner la rupture du contrat, mais à dédommager l’agent pour ses prestations passées qui auront encore un effet sur les futures opérations du commettant ».

 

Cette observation s’appuie sur les conditions économiques d’exécution du contrat d’agence commerciale :

 

  • l’agent commercial, à la différence des délégués commerciaux salariés, accomplit sa mission à ses risques et à ses frais financiers.

 

  • il mène l’aventure de tout entrepreneur indépendant, et ne coûte rien à ses mandants tant qu’il ne leur a pas apporté des affaires.

 

  • les auteurs qui s’étonneraient du montant de l’indemnité de fin de contrat d’agence, qu’en France un usage reconnu fixe à deux années de commissions brutes, devraient mettre en regard de ce montant la totalité des frais engagés par une société qui ne traite pas avec des agents commerciaux et préfère mettre en œuvre une force intégrée, constituée de salariés avec les salaires et charges que leur emploi nécessite : en 2018 en France cet emploi nécessite au moins 100.000 € par salarié à l’année et souvent plus.

 

Avec des différences, selon le poids des cotisations sociales, l’observation vaut pour tous les  pays de l’Union Européenne.

 

 

La charge d’une force de vente intégrée se paie au jour le jour, même sans obtention de chiffre d’affaires, beaucoup plus cher que l’indemnité de fin de contrat d’agence, qui elle est fonction du chiffre d’affaires réalisé.

 

 

 

 

Enfin, certaines mentions du pourvoi ayant conduit à l’arrêt de la chambre commerciale du 6 décembre 2016 soumettant la question préjudicielle à la Cour de justice, révèlent un caractère assez miséreux de l’activité entreprise en l’espèce ; on y voit que le point de vente n’aurait été ni étanche, ni chauffé en hiver, et pas même verrouillé jusqu’à des factures d’achat de cadenas…

 

Cela incite à des vérifications qui établissent que les deux sociétés en litige sont aujourd’hui en liquidation et qu’elles opéraient dans le monde de l’immobilière, c’est aussi le cas de la société en situation dans l’arrêt du de la Cour de cassation du 23 juin 2015 (n° 14-17894) qui a reconnu la validité d’une période d’essai au motif, erroné,  que le contrat d’agence n’aurait pas été définitivement conclu.

 

C’est le monde de l’immobilier qui a recours à la technique de la période d’essai

 

Dans la présente espèce comme dans celle qui vient d’être citée du 23 juin 2015, il s’agissait de commercialisation de maisons individuelles à construire.

 

Le pourvoi n’évoquait pas d’incertitude sur la nature du contrat présenté comme un contrat d’agent commercial, se rangeant implicitement aux côtés de la Cour de Lyon dans son arrêt du 18 novembre 2004 (RG 2003/05665) qui a jugé que ce type d’activité est un contrat de louage d’ouvrage aménagé et non pas la vente d’un bien immobilier, ce qui évite de tomber sous le coût de la loi Hoguet et la qualification d’agent immobilier des sociétés mandataires qui, étant des personnes morales, ne peuvent d’aucune façon bénéficier de l’extension abusive de la qualité d’agent commercial opérée par la loi du 13 juillet 2006 en son article 97 (loi dite « Engagement national pour le logement ».

 

En effet, la loi du 2 janvier 1970 réglementant de façon particulière les personnes dites « mandataires » dans le commerce des biens immobiliers, ces personnes ne peuvent être agent commercial en vertu de l’alinéa 2 de l’article L.134-1 du Code de Commerce.

 

Une discussion aurait pu être menée par les parties sur la qualification du contrat mais qu’importe : comme le juge régulièrement, à juste titre, la Cour de justice « les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union doivent recevoir une interprétation uniforme quelles que soit les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer ».

 

Elle l’a jugé, précisément en matière d’agence commerciale, dans son arrêt du 3 décembre 2015 (affaire : C-338/14, Quenon K. SPRL c/ Beobank SA et Metlife Insurance SA) et précédemment dans ses arrêts Unamar, C-184/12, Volvo Cars Germany, C-203/09 et C- 3/204, Poseidon Chartering).

 

Quelle que soit l’utilisation faite par un Etat membre de dispositions de droit européen, leur interprétation relève de l’autorité de la Cour de justice.

 

 

 

 

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